Connaissez-vous les bánh khọt ? Ce sont de délicieux petits palets plats et épais à base de riz, agrémentés d’une crevette et parsemés de ciboule à l’huile (mỡ hành). Mon cher grand-père paternel, fin gourmet et éminent gastronome, qui vit à Saigon, en raffole et m’a fait découvrir ce merveilleux plat.
Jaunes ou blancs, les banh khot sont principalement déclinés en deux variantes : les banh khot jaunes du Delta du Mékong (Miền Tây) et les banh khot blancs de la ville de Vũng Tàu (sud-est du pays, anciennement Cap St Jacques). Ils sont cuits dans des moules alvéolés à fond plat ou légèrement incurvé, posés sur feu de bois ou au charbon. Croustillants dehors et moelleux au cœur, ils se dégustent chaud immédiatement après confection, enveloppés dans une feuilles de salade ou de moutarde (cải bẹ xanh), avec quelques herbes aromatiques (houttuynia cordata ou fish mint (orthographié diếp cá, dấp cá ou giấp cá), basilic thaï, pérille (tía tô), menthe…), de légumes aigres-doux comme de tradition, la papaye verte râpée ou les tiges de lotus (ou encore la mangue verte, le radis blanc suivant les localités) et de sauce nuoc mam aigre-douce à l’ail et au piment. Dans la version du Delta, on nappe parfois de lait de coco.
D’où viennent les bánh khọt ? Les banh khot seraient originaires de la Côte centrale du sud (Nam Trung Bộ de Bình Thuận à Đà Nẵng) issus du Banh Căn, un mets assez proche par l’aspect mais différent par la façon de déguster, les accompagnements et la sauce. Une vague de population de la Côte centrale du sud immigra dans le sud pour s’installer sur le nouveau territoire à partir du milieu du XVIIIe siècle, apportant leur savoir-faire culinaire dont le bánh căn, puis en le réadaptant peu à peu au goût du Sud. Le nom donné « bánh khọt » est assez flou et sans certitude sur son origine. Deux hypothèses possibles : l’une dit que cela viendrait de l’onomatopée « khot khot » (le KH se prononce comme la Jota espagnole), rappelant le son causé par la cuillère au moment de racler pour retirer les banh khot du moule; l’autre hypothèse dit qu’il s’agirait d’une déformation du mot « khộp » (terme ancien inusité) qui signifiait misère car les gens à l’époque étaient si pauvres qu’ils ne pouvaient manger que des galettes sans rien. Une déformation du mot dans la prononciation se serait transformée en « khọt » à l’usage. Source : site officiel de Bà Rịa – Vũng Tàu.
Les banh khot du Delta du Mékong ont une très belle couleur jaune due au curcuma, piqués de vert grâce aux oignons verts ou à la ciboule, avec une jolie touche rose ou rouge orangé de la crevette. On ajoute toujours un peu de haricots mungo décortiqués déjà cuits et parfois un peu de viande de porc haché. La pâte est réalisée à base de farine de riz, de riz cuit selon certaines recettes, de lait de coco, d’un peu de curcuma (pour la couleur jaune), des œufs et des oignons verts ou ciboule hachée ajoutée directement dans la pâte. Tous ces ingrédients rappellent beaucoup ceux des Bánh xèo (crêpe vietnamienne). C’est la version la plus courante utilisée à l’étranger, pour son aspect coloré plus attrayant et alléchant que la version plus simple de la ville de Vũng Tàu.
Pourtant, les banh khot de Vung Tàu sont particulièrement réputés. Les petits palets blancs à la croûte dorée sont surmontés d’une belle crevette rose, le tout parsemé de poudre de crevettes grillées et de ciboule ciselée à l’huile. Malgré une apparence plus simple, la texture des palets est plus légère et croustillante à l’extérieur car moins riche en lait de coco ou en œufs, le cœur bien moelleux révèle une crevette ferme et juteuse, délicatement parfumé à la ciboule et aux crevettes grillées. La pâte est exclusivement à base de farine fraîche de riz et ne contient ni de ciboule / oignons verts (et parfois) ni d’œufs. À l’instar des banh khot de la région de miên Tây, ils sont accompagnés de feuilles de salade, de feuilles de moutarde, de diverses herbes aromatiques et de papaye verte râpé en longs filaments ou de tiges de lotus vinaigrées. Sans oublier la sauce nuoc mam aigre-douce à l’ail et au piment, la touche finale qui révèlera toutes les saveurs de ces palets exquis. Pas étonnant que depuis 2011, ils ont été sélectionnés parmi les douze meilleurs plats du Vietnam dans les cuisines d’Asie.
Si à l’origine les banh khot se dégustaient au petit-déjeuner, aujourd’hui on peut en consommer à toute heure de la journée, en entrée comme en plat de résistance. Bien que cela soit un mets simple et populaire, les banh khot de Vũng Tàu trouvent place aussi bien dans les petites gargotes spécialisées que dans les restaurants ou les grands hôtels de la ville, servis dans les assiettes par dizaine avec à disposition de la salade, des feuilles de moutarde, de la papaye ou des tiges de lotus aigres-douces, des herbes aromatiques à profusion et l’incontournable sauce nuoc mam aigre-douce. Malgré leur petite taille, les banh khot calent très vite. Mais pêchant par gourmandise, une dizaine de banh khot peut rapidement se transformer en vingtaine…dans l’estomac. On y est vite sans s’en rendre compte ! Parmi les lieux incontournables et les plus réputés de Banh Khot à Vũng Tàu, citons entre autres le Bánh Khọt Gốc Vú Sữa (photos) situé au 14 Nguyễn Trường Tộ. Le succès du lieu et les longues files d’attente à certaines heures de pointe, justifient la présence de dizaine de cuisinières confectionnant des centaines de banh khot avec rapidité et dextérité devant les clients (photos ci-dessous). Un gage de fraîcheur assuré !
Confectionner des banh khot hors du Vietnam n’est pas chose aisée. On ne retrouve pas complètement la texture à la fois bien croustillante à l’extérieur et tendre à l’intérieur, sans doute à cause de la différence de farine de riz et du mode de cuisson. Les moules à banh khot sont quasiment introuvables ici. En remplacement, on peut utiliser les poêles à takoyaki japonais, contenant des alvéoles de 5 cm de diamètre mais trop profondes ou les poêles à poffertjes hollandais contenant des alvéoles peu profondes. Si vous utilisez la poêle à takoyaki, ne faites pas l’erreur (comme on voit ici en France) de trop remplir les alvéoles de pâtes, car vous obtiendrez des pseudo banh khot semi-sphériques, pas très jolis, trop épais et bourratifs !
La farine de riz au Vietnam est souvent faite sur place par les cuisinières elles-mêmes. Les grains de riz sont trempés une nuit, réduits en poudre à la meule le lendemain. Elles laissent encore reposer la farine obtenue pour la laisser sécher un peu avant de l’utiliser. Les textures obtenues sont variables en fonction de la qualité et de la variété du riz. Toutes sont unanimes à ce sujet : le croustillant vient de la qualité de la farine de riz faite maison et de son mélange de la pâte.
Hors du pays, impossible de fabriquer sa propre farine. Par commodité, on trouve des préparations industrielles toutes prêtes pour banh khot, avec farine de riz, farine de blé ( ! ), poudre de bouillon et exhausteur de goût ou glutamate. À cela, on rajoute curcuma, œufs, lait de coco, etc. J’avoue n’avoir jamais testé cette préparation industrielle. Étant donné que la majorité des recettes l’utilise, je pense qu’elle doit être très bonne. Cependant je préfère utiliser directement de la farine de riz (on en trouve facilement dans les magasins d’alimentation asiatique) et du riz cuit mixé, faire ma préparation, savoir ce que j’y mets et avoir la surprise de délicieux banh khot sensiblement différents d’une fois à l’autre.
Après de longues recherches sur les sites vietnamiens, où quelques recettes de banh khot (les mêmes repiquées d’un site à l’autre) véhiculent invariablement, je n’ai rien trouvé d’inspirant, ni même du côté des Vietnamiens anglophones et francophones où les recettes utilisent majoritairement la préparation de farine industrielle de banh khot, avec un dosage assez lourd en lait de coco (trop gras et écœurant), de curcuma et trop d’œufs. Impossible également d’obtenir le secret de la pâte à banh khot chez les professionnel(le)s… Mais à partir de témoignages d’amateurs éclairés et de visionnage de documentaires en vietnamien sur le sujet, sans jamais obtenir de proportions claires ou exactes des ingrédients (secret gardé ou cuisine à l’instinct), j’ai alors élaboré la recette de banh khot avec mes propres proportions. Ma préférence allant pour les banh khot blancs de Vung Tàu (plus légers et croustillants) à ceux jaunes de la région de miên Tây, voici ma recette de bánh khọt dans le style de Vũng Tàu.
Pour 35 à 40 petits banh khot de 5 cm de diamètre. Temps de préparation en deux temps : la veille et le jour même. La veille : Temps de trempage des crevettes : 1 h. Temps de cuisson du riz : 20 minutes. Temps de préparation de légumes aigres-doux (suivant le légume choisi !) : 30 minutes. Le jour J : Préparation : 45 minutes. Cuisson : 7 à 10 minutes par poêlée.
Matériel :
- Poêle à takoyaki japonais ou à poffertjes hollandais
- Un couvercle (bombé) de la taille du diamètre du moule pour couvrir (indispensable!)
- Mixeur blender
- Récipient avec bec verseur
Ingrédients :
Pâte à banh khot blanc (dans le style de Vung Tàu) :
- 150 g de farine de riz
- 100 g de riz long Thaï déjà cuit
- 270 à 300 ml d’eau
- 75 ml de lait de coco
- Facultatif : 1/2 œuf légèrement battu (sans œuf, la croûte est plus croustillante mais la pâte doit être « excellente »)
- 1/2 cuillère à café de sel fin
- 1 cuillère à café de sucre en poudre
- Huile végétale neutre pour huiler le moule (ou du saindoux)
Farce :
- 35 à 40 crevettes crues sans têtes et décortiquées, de taille moyenne
- 50 g de crevettes séchées
- 3 ou 4 tiges d’oignons verts ou de ciboule chinoise (partie verte) ciselées
- Huile végétale neutre + 1 pincée de sel
- Facultatif : Huile d’annatto (à confectionner soi-même)
- 1 cuillère à café de nuoc mam pur (saumure de poisson pure)
- 1 cuillère à café de sucre en poudre
Sauce d’accompagnement : Nuoc mam aigre-doux à l’ail et au piment
- 2 cuillères à soupe de nuoc mam pur (idéalement de Phu Quôc)
- 2 cuillères à soupe de jus de citron vert pressé
- 1 cuillère à soupe de vinaigre de riz
- 3 cuillères à soupe rase de sucre en poudre
- 8 à 9 cuillères à soupe d’eau
- 1 piment frais + 1 gousse d’ail finement haché
Accompagnement :
- Feuilles de salade (batavia, laitue…)
- Facultatif : feuilles de moutarde (on peut en trouver dans les grands magasins d’alimentation asiatique à Paris)
- Variété d’herbes aromatiques : fish minht (dấp, diếp cá), basilic thaï (rau quế), pérille (shiso / tía tô), menthe
- Légumes aigres-doux râpés en longs filaments (préparation des légumes avant marinade ici : papaye verte, tiges de lotus). Si on n’en trouve pas, remplacer par le radis blanc (daikon) et/ou les carottes. Recette de légumes aigres-doux ici.
Préparation :
La veille :
- Cuire le riz long Thaï et réserver au frais 100 g pour la préparation de la pâte le lendemain.
- Tremper les crevettes séchées dans l’eau tiède pendant 1 heure. Rincer, égoutter, mixer finement les crevettes. Dans une poêle, faire griller à sec pendant une dizaine de minutes à feu moyen. Verser 1 cuillère à café de nuoc mam pur et 1 cuillère à café de sucre sur les miettes de crevettes grillées. Mélanger et continuer à faire griller à la poêle jusqu’à ce que la poudre soit sèche et se détache (environ 5 minutes). Si on a de l’huile d’annatto (ici), verser une cuillère à café pour colorer la poudre de crevette (facultatif). Réserver dans un pot.
- Faire les légumes aigres-doux : ici.
Le jour J :
Accompagnement :
- Laver la salade, les feuilles de moutarde (s’il y en a) et les herbes aromatiques. Nettoyer et bien essorer. Garnir un grand plat ou assiette pour les mettre à disposition aux convives.
- Dans une assiette ou un bol, déposer les légumes aigres-doux.
Sauce d’accompagnement :
- Laver le piment et couper en fines rondelles. Hacher la gousse d’ail.
- Presser le citron vert. Réserver 2 cuillères à soupe de jus pressé.
- Dans une casserole, sur feu doux, dissoudre le sucre en poudre dans l’eau et le nuoc mam pur. Éteindre.
- Verser le tout dans un grand bol. Ajouter le jus de citron vert pressé et le vinaigre de riz. Mélanger. Puis ajouter l’ail haché et le piment.
- Goûter et rectifier l’assaisonnement si nécessaire : trouver l’équilibre entre le sucré-salé-acidulé.
Pâte à banh khot :
- Dans un blender (mixeur pour réduire en purée et en liquide), mixer les 100 g de riz blanc cuit avec 150 ml d’eau, 75 ml de lait de coco, sel et sucre. Réserver.
- Mélanger dans un récipient (idéalement, avec bec verseur pour faciliter le remplissage des alvéoles du moule), la farine de riz avec 150 ml d’eau tiède versée par petites quantités. Verser le mélange riz cuit / lait de coco dans la préparation de farine de riz et bien mélanger. La pâte d’aspect un peu granuleuse (à cause du riz cuit) doit être assez épaisse et fluide comme celle des pancakes.
- Laisser reposer la pâte pendant la préparation de la farce.
Farce :
- Laver les crevettes avec un peu d’eau salée, rincer puis décortiquer les crevettes crues. Supprimer les têtes si elles sont entières. Réserver.
- Ciboule à l’huile (mỡ hành) : Laver les tiges d’oignons verts ou ciboule chinoise, n’utiliser que la partie verte. Réserver la partie blanche pour une autre préparation de plat (ça se conserve dans une boîte hermétique au frais pendant 1 jour ou deux). Ciseler assez finement la partie verte de l’oignon vert ou la ciboule. Mettre dans un bol avec une bonne pincée de sel. Faire chauffer 6 à 8 cuillères à soupe d’huile végétale neutre (tournesol, arachide par ex) dans une petite casserole. Dès qu’elle est bien chaude (jeter une goutte d’eau, si ça grésille, éteindre), la verser brûlante sur la ciboule ciselée. Ca doit grésiller ! Mélanger et réserver.
Réalisation des banh khot :
- Faire chauffer sur feu moyen le moule à takoyaki japonais après avoir mis un peu d’huile ou du saindoux (gras de porc) dans chaque alvéole.
- Lorsque c’est chaud, verser un peu de pâte (après l’avoir bien mélangée à nouveau) dans chaque alvéole du moule, à la moitié ou au 3/4 de sa profondeur, afin de ne pas avoir des banh khot trop épais.
- Ajouter aussitôt une petite crevette crue sur la pâte liquide dans chaque alvéole. Couvrir et laisser cuire 7 à 10 minutes selon le diamètre des alvéoles.
- C’est cuit et prêt quand le fond est doré, croustillant et le coeur de la pâte est cuit et tendre. À l’aide d’une cuillère, sortir les banh khot des alvéoles et les disposer dans une assiette. Faire de même avec le reste de pâte à banh khot et les crevettes crues.
Photo : ici, mes crevettes sont légèrement trop grosses pour ce plat. Choisissez des plus petites.
- Verser un peu de ciboule à l’huile et de poudre de crevettes séchées sur chaque banh khot. Servir chaud immédiatement.
Conseils :
Si vous laissez les banh khot un moment, ils vont se ramollir. C’est normal. On peut éventuellement les réchauffer au four pour retrouver un peu de croustillant, mais le coeur des banh khot séchera un peu. Ça ne sera plus aussi bon. Veillez à ce que les accompagnements et la sauce soient prêts sur la table. Faites les banh khot au dernier moment, avant de servir pour savourer et apprécier pleinement vos banh khot dans les règles de l’art !
Comment déguster les banh khot comme au Vietnam :
À la main. Prenez une feuille de salade, une feuille de moutarde (s’il y en a), déposer quelques légumes aigres-doux, quelques feuilles d’herbes aromatiques et un banh khot. Enveloppez soigneusement le tout (avec délicatesse et dextérité…) sans rien laisser tomber de côté, trempez le tout dans la sauce nuoc mam aigre-douce à l’ail et au piment servie dans un bol pour chaque convive. Dégustez et savourez ! Bonne dégustation !!!