Dans le cœur des Vietnamiens, certains plats populaires lui sont particulièrement chers. Parmi ceux-là, le bún riêu cua, une merveilleuse soupe de vermicelles de riz (bún) légèrement acide (riêu) au crabe (cua), est apprécié de tous pour la saveur fine et exquise typique du petit crabe d’eau douce frais (cua đồng, crabe des champs ou crabe de rizière).
Originaire du nord du Vietnam, le bún riêu cua est l’une des soupes emblématiques de cette région. Le ramassage des petits crabes des rizières se faisant en été, ce plat est souvent associé à une soupe d’été. Dans le sud, ce plat connaît également une forte popularité et se déguste toute l’année (le climat est plus chaud et constant). Il existe par ailleurs aujourd’hui des élevages de crabes de rizière en milieu naturel, dans le delta du Mékong.
Traditionnellement dans le nord, ce plat est assez sobre : une portion de vermicelles de riz, de la chair de crabes de rizière, quelques quartiers de tomates, des dés tofu frit et dans le bouillon, un peu de jus de riz fermenté (giấm bổng ou mẻ) pour lui donner un goût un peu acide. Tandis que dans le sud du pays où l’on aime l’abondance dans les plats, le bún riêu cua est plus richement garni, avec l’ajout du porc haché, des morceaux de porc (travers, abats,…), de tranches de mortadelle vietnamienne, des cubes de sang bouilli de porc, des crevettes séchées et l’eau de tamarin remplace le traditionnel « vinaigre » ou jus de riz fermenté. Cette version du sud est celle que l’on trouve dans les restaurants en France.
À l’origine, il n’y avait pas de porc dans le bún riêu cua. Sa présence fut d’abord un subterfuge pour reproduire visuellement la chair brune (partie molle) des crabes de rizières. L’alliance du porc et du crabe étant bien appréciée dans la cuisine vietnamienne, la recette a évolué vers l’usage du porc pour enrichir les saveurs et les textures.
Le riêu, sorte de bouillon aigre, est souvent réalisé avec crabe ou poisson dans lequel on ajoute du jus de riz fermenté (mẻ) ou du vinaigre spécial de riz fermenté (giấm bổng), deux ingrédients typiques du nord du Vietnam, aux saveur et parfum très subtils. Dans le sud, le tamarin a une place de choix dans la cuisine quand il s’agit de rendre acide un bouillon ou une sauce.
La préparation traditionnelle des crabes de rizière est très longue et fastidieuse, exigeant des heures de préparation. D’abord, il faut ouvrir tous les petits crabes pour extraire la partie molle et la réserver. Puis les crabes dont la carapace est assez molle sont pilés entièrement au mortier, réduite en une pâte. Cette pâte de crabe entier doit être mélangée à l’eau puis filtrée à travers une passoire à mailles fines, trois fois de suite. Ainsi la chair du crabe passe à travers les mailles avec l’eau, filtrant les restes de carapaces et morceaux de pattes que l’on jette après. Ce jus de crabe filtré est ensuite porté à ébullition. La chair remonte à la surface du bouillon une fois cuite, formant une sorte de « mousse » grisâtre que l’on prélèvera délicatement pour la réserver et pour la servir au moment de déguster. La partie molle réservée est ensuite cuite avec les tomates à la poêle avant d’être ajoutée au bouillon. Cette préparation offre à cette soupe de nouilles toutes les saveurs subtiles du crabe des rizières, identité gustative essentielle du bún riêu cua.
C’est pourquoi il est si difficile hors du pays de retrouver des saveurs semblables. Je vous invite d’ailleurs si vous avez l’occasion d’aller au Vietnam de goûter une fois à cette merveilleuse soupe de nouilles au crabe. Les deux versions, nord et sud, sont différentes mais tout aussi délicieuses l’une que l’autre. Profitez également pour découvrir d’autres délicieuses variantes, comme celles avec des escargots (bún riêu óc), avec des crevettes et du porc (bún riêu tôm thịt) ou récemment, avec du bœuf (bún riêu bò) !
Par manque de certains ingrédients en dehors du Vietnam, beaucoup de recettes vietnamiennes sont réadaptées avec des produits de remplacement pour reproduire les saveurs originales ou pour s’en approcher. Dans le cas du bún riêu cua, la plupart des gens et les restaurants utilisent des extraits et pâtes de crabe déjà assaisonnés (crabe, ail, poudre de sauce soja, huile, sel, poivre, ail, exhausteurs de goût : glutamate de sodium E621) en conserve pour remplacer le goût de la chair brune du crabe des rizières et ajoutent parfois du vrai crabe (chair, chair de pattes…) à la viande de porc haché. Le bouillon est ainsi rapide à faire et on obtient sans effort un goût très flatteur et standard.
Si vous avez la flemme de cuisiner des produits naturels pour le bouillon, vous avez ainsi la possibilité d’utiliser des saveurs de crabe en pot ou en cubes et de la pâte de crabes assaisonnés en conserve. Pour ma part et par choix, je préfère éviter l’usage de ces produits et des exhausteurs de goût (bouillon déshydraté en poudre (type « chicken powder » ou en cube (type Kub or) très présent dans la cuisine vietnamienne, glutamate de sodium, saveurs et sauces en pot prêtes à l’emploi…). Je vous propose ici une version personnelle et complètement réadaptée du bún riêu cua traditionnel, aux saveurs plus iodées . Cela pourra, je l’espère, vous faire patienter jusqu’à la découverte du vrai bún riêu cua lors de votre prochain voyage au Vietnam…
Ma recette de Bún riêu cua revisitée :
Pour 4 personnes. Préparation : 45 minutes. Cuisson : 1h15
Ingrédients
- 500 g de tourteaux cuits (2 x demi-tourteaux)
- 75 g de crevettes séchées (au rayon surgelé des supermarchés asiatiques)
- 150 g de porc haché
- 2 œufs
- 320 g de vermicelles de riz bun
- 250 g de tofu ferme
- 4 tomates
- 200 g de germes de haricot mungo frais
- 4 tiges de ciboule (parties blanche et verte séparées)
- 2 échalotes
- 2 gousses d’ail + 1 gousse d’ail (pour l’huile au roucou)
- 2 c. à soupe + 250 ml d’huile (pour la friture)
- 1 c. à soupe de sel (bouillon) + ½ c. à café de sel (pour les tomates) + ½ c. à café de sel (pour le porc)
- 20 g de sucre candi
- 1 c. à café bombée de sucre
- 1 c. à soupe de nuoc mam
- 1 c. à soupe de pâte de crevette mam tôm (mắm tôm) + 1 c. à café
- 1 c. à soupe d’huile au roucou (voir la recette ci-dessous)
- 50 ml (5 cl) d’eau de tamarin (ou remplacez par 2 c. à soupe de vinaigre de riz blanc)
- du piment frais
- 2 citrons verts
- des feuilles de shiso (tia tô), des feuilles de coriandre selon envie et goût
Eau de tamarin :
- 30 g de pulpe de tamarin séché dénoyauté
- 100 ml d’eau chaude
Faites tremper la pulpe de tamarin séché dans l’eau chaude pendant 30 minutes. Filtrez l’eau de tamarin à travers une passoire à mailles fines. Réservez. Utilisez la quantité indiquée dans la recette et conservez le reste au frais pendant 3 à 4 jours max.
Huile de roucou :
- 2 c. à soupe de graines de roucou
- 50 ml (5 cl) d’huile de tournesol
Faites chauffer l’huile dans une petite casserole. Ajoutez les graines de roucou dans l’huile chaude et faites revenir 1 ou 2 minutes. L’huile va se colorer en rouge. Une fois l’huile refroidie, filtrez-la à travers une épuisette. Réservez.
Préparation
- Prélevez la chair du tourteau de sa carapace. Cassez les pinces et les pattes, prélevez la chair et réservez dans un bol séparé. Faites tremper les crevettes séchées dans l’eau tiède pendant 30 minutes, égouttez et mixez-les au robot.
- Dans une marmite, mettez la carapace, les morceaux de pinces et de pattes du tourteau dans 2 litres d’eau froide et portez le tout à ébullition, écumez et poursuivez la cuisson à feu moyen pendant 30 minutes. Puis filtrez le bouillon avant de le remettre sur feu moyen. Ajoutez la chair de crabe, le sel et le sucre candi. Laissez mijoter à petits frémissements pendant toute la préparation des garnitures.
- Rincez, séchez et détaillez le tofu en cubes de 2 cm de côté. Chauffez l’huile dans une poêle, faites-les frire jusqu’à ce qu’ils soient légèrement dorés. Réservez.
- Lavez, coupez les tomates en quartiers. Épluchez et hachez finement deux échalotes, 4 blancs de ciboule et l’ail. Réservez.
- Dans une poêle, chauffez 1 c. à soupe d’huile et faites-y dorer les échalotes. Ajoutez les tomates, assaisonnez-les avec le sel et faites-les revenir pendant 3 minutes. Ajoutez le tofu frit.
- Assaisonnez le bouillon avec 1 c. à soupe de mam tôm et ajoutez les tomates et le tofu.
- Faites revenir les crevettes mixées à sec dans une poêle. Versez 1 c. à soupe d’huile au roucou pour colorer. Mélangez bien le tout. Réservez.
- Dans un bol, mélangez le porc haché avec les crevettes mixées et colorées, la chair des pinces et pattes de crabe, les œufs, les échalotes, l’ail, 1 c. à café bombée de sucre, ½ c. à café de sel, 1 c. à soupe de nuoc mam. Faites des boulettes (irrégulières) de la taille d’une noix et aplatissez-les. Cuisez-les dans le bouillon. Ou simplement versez la préparation de viande directement dans le bouillon, des amas de viande se détacheront et flotteront. C’est plus inesthétique mais ça ressemblera davantage à la chair molle de crabe dans la version originale (voir la dernière photo de la recette).
- Ajoutez l’eau de tamarin (ou le vinaigre de riz blanc). Poursuivez la cuisson du bouillon à petits feux pendant 20 minutes en écumant régulièrement les impuretés à la surface. Rectifiez avec 1 c. à café de mam tôm si nécessaire.
- Préparez l’assiette de shiso et de germes de haricot mungo, ciselez le vert de ciboule, la coriandre et le piment.
- Cuisez les vermicelles de riz (bún) à l’eau bouillante, sur feu moyen, pendant 8 minutes. Rincez-les abondamment à l’eau froide et égouttez-les.
- Dans les bols, mettez une portion de vermicelles. Versez la soupe bouillante avec les boulettes de porc et crabe, les tomates et le tofu frit. Parsemez de coriandre et de ciboule. Pressez un quartier de citron vert et ajoutez quelques rondelles de piment. Laissez à la disposition des convives une coupelle de mam tôm, le shiso, les germes de haricot mungo, des quartiers de citron vert et du piment, pour qu’ils en ajoutent eux-mêmes dans leur plat s’ils le souhaitent.
Conseils :
Avec un tourteau cru, les saveurs du bouillon seront plus intenses. Il suffit de congeler 15 minutes le tourteau pour l’endormir, puis de le cuire entier en l’immergeant complètement dans l’eau avec un départ de cuisson à froid. Dès ébullition, c’est 20 minutes de cuisson. On le laisse refroidir avant de décortiquer comme indiqué dans la recette et on filtre l’eau de cuisson pour le bouillon.
Bonjour, miss Tâm, quelle émouvante évocation de ce plat mythique, surtout pour moi qui ne suis pas revenu au Nord, depuis….65 ans, et qui l’a savouré en famille.
Je crois que je ne me lancerai pas dans la confection de ce plat si complexe et goûteux, mais si je le referai, un jour ….. je suivrai certainement vos conseils.
Merci pour ce doux moment que vous m’aviez procuré, miss Tâm !
Merci pour votre aimable commentaire qui me touche beaucoup. Heureuse que cette recette éveille en vous de bons souvenirs en famille au Vietnam…
Une savoureuse autant que très gourmande recette aujourd’hui, qui me plaît infiniment pour l’avoir découverte lors de mon séjour au Vietnam, je suis ravie d’avoir la possibilité de refaire cette succulente soupe, un grand merci… excellente journée, bises
Merci ma chère Jacqueline ! Heureuse de te retrouver ici et en bonne santé ! Belle journée à toi. Bises.
Fabuleuse recette je vais la faire dés que possible!
Pour le bouillon puis je utiliser des carapaces et des pinces de homard qui me restent das le congélateur
Chantal,
Merci Chantal ! Ca sera délicieux avec vos carapaces et pinces de homard. Vous m’en donnerez des nouvelles ? 🙂
Merci pour vos recette savoureuses que j’attends avec impatience !
Bonjour,
Je vous remercie pour cette recette si bien expliquée! Je n’ai jamais cuisiné vietnamien ni goûté cette recette (pas encore!) mais je veux faire plaisir à mon compagnon pour son anniversaire à qui ce plat manque terriblement!
J’espère faire honneur à ce plat.
Merci beaucoup et belle année!
Bonjour Miss Tam
J’adore lire toutes vos recettes, tout est vraiment bien détaillé!
Je me demande pourquoi nous ne donnez plus de nouvelles recettes ?