Questionnaire de Miss Tâm #3 : Entretien avec Vuong Duy Binh (Loin des yeux de ma mère, Editions First)

Point de recette à livrer, mais un livre à dévorer et un portrait à découvrir…

J’ai rencontré Vuong Duy Binh en 2007 grâce à une très bonne amie commune. Les premières choses qui m’ont plu chez lui étaient sa délicatesse et sa joie de vivre. Son radieux sourire balaie les tracas d’une sombre journée. Et on ne peut rester insensible au charme discret et à l’élégance parfaite de cet homme. Par une pure coïncidence, cette année-là fut également la concrétisation d’un rêve et le commencement de l’écriture de son récit autobiographique.

Le 16 janvier dernier, « Loin des yeux de ma mère » voit enfin le jour chez les Éditions First. Vuong Duy Binh nous livre un témoignage poignant sur son histoire et celle de sa famille dans l’atmosphère de guerre et de tensions politiques au Vietnam à la fin des années 60, sa fuite en bateau en 1979, son arrivée en France comme boat-people jusqu’au moment où il a enfin pu faire venir sa famille en France au printemps 90. Qui soupçonnerait derrière cette douceur qui nous frappe en premier chez Binh, une force titanesque et une volonté de fer ? Lisez son livre, c’est une belle leçon d’amour, de vie et d’espoir.

Binh ou Brice dans l’état-civil français, est la discrétion personnifiée. Peu bavard sur son passé, il a pourtant aimablement accepté de se prêter au jeu du questionnaire de Miss Tâm pour un portrait culinaire ludique et d’approfondir l’entretien avec des sujets plus personnels. Alors quand deux gourmands se retrouvent, c’est forcément autour d’une (bonne) table. Un lieu à son image, discret, raffiné et de qualité : Le Réminet au 3 rue des grands degrés 75005 Paris. Le caveau nous prive certes de lumière pour faire de bonnes photos, mais l’ambiance feutrée et intime est tout à fait propice aux confidences et à la dégustation d’une cuisine de très grande qualité. Je vous recommande vivement cette excellente adresse.

Et voici le petit portrait culinaire de Vuong Duy Binh suivi de l’entretien plus personnel. Bonne découverte !

  • Si tu étais un aliment ou un plat / dessert, lequel serais-tu ?

La truffe. D’abord ça pousse sous terre. C’est discret. Je suis quelqu’un de très discret. Son apparence n’est pas très belle, mais à l’intérieur c’est un vrai diamant.

  • Ton meilleur souvenir de cuisine ou en lien avec la nourriture dans ton enfance ?

Le chè Táo Xọn (soupe sucrée à base de fécule de tapioca avec des haricots mungo décortiqués, des lamelles de coco) du marché de la paix (chợ Hoà Bình) à Saigon.  Enfant, j’allais dans la petite échoppe de mon grand-père maternel qui vendait des bâtons d’encens, des papiers pour les prières, etc. Il me gardait souvent pendant que ma mère travaillait. Il me disait tout le temps d’aller choisir un dessert au marché. Pour un enfant, les rayons de desserts sont toujours fascinants.

  • Ton coup de foudre gustatif

La truffe ! Je l’ai découverte la première fois à Hong-Kong lors d’un déplacement professionnel. J’étais allé au restaurant Le Spoon d’Alain Ducasse. C’était un plat tout simple… Des coquillettes avec du jambon… et de la truffe ! C’était fabuleux ! Une vraie révélation gustative.

  • L’anecdote culinaire la plus drôle qui t’est arrivée  (en cuisine ou pendant un repas)?

La bosse du chameau. En 1997, j’étais en voyage à Pékin. La Cité Interdite organisait sans doute pour les touristes, un repas impérial, un vrai festin chinois. Nous étions quatre amis. Les plats défilaient, délicieux. Puis arrivait le tour des bosses de chameaux en tranches ! Nous commencions à en mettre dans la bouche, une odeur très puissante nous incommodait déjà et sa texture assez coriace nous avait littéralement achevés. Nous nous étions tous mis à recracher le morceau, en même temps et spontanément, je te laisse imaginer la tête du restaurateur. (éclats de rire)

  • Dans une cuisine, quel objet serais-tu ?

Un tire-bouchon. Parce que c’est lié au vin, c’est élégant, discret, convivial et festif.

  • Ton pire cauchemar culinaire ou un aliment que tu détestes ?

La bosse de chameau.

  • Si tu étais un chef cuisine, où serais-tu ?

Je serai chef dans un restaurant avec terrasse sur la Côte d’Azur, avec vue sur la mer. Je trouve qu’il y a une luminosité très belle, très particulière, dans cette région. J’adore aller là-bas, cela m’apaise.

  • Le plat ou le dessert que tu as toujours rêvé de faire sans jamais l’oser ?

La galette des rois. Ça m’a l’air difficile et compliqué de faire la pâte feuilletée et la frangipane mais j’adore la galette aussi pour son côté très convivial :  la surprise avec la fève, on fait participer les enfants, c’est festif.

  •  En cuisine, si tu étais un secret, lequel serais-tu ?

Ma sauce magique mais je ne peux en révéler le secret…

  • Quel est ton plat (ou dessert) vietnamien favori ?

Bún thịt nướng (vermicelles de riz au porc grillé) ou nem nướng (boulettes de porc grillé) du marché de Bến Thành à Saïgon. Les vermicelles de riz sont fraîches et ont un goût fabuleux. Il y a cette bonne viande grillée, les herbes fraîches et la ciboulette huilée (ou huile de ciboulette / mỡ hành) qu’on arrose sur la viande… C’est tellement bon !

Entretien avec Vuong Duy Binh à propos de son parcours, de ses goûts culinaires et de son livre :

  • En quelques mots, qui es-tu ? D’où viens-tu ?

J’ai beaucoup de chance. Je suis quelqu’un de multi-culturel. Tu vois, je suis né dans la cuisine chinoise, j’ai grandi avec la cuisine vietnamienne et je vis dans la gastronomie française.

  • Quel est ton parcours ?

Pour résumer, à 11 ans, j’ai dû fuir le Vietnam. Après un passage de six mois dans les camps de Malaisie, je suis arrivé en France la même année. J’ai dû apprendre le français, puis j’ai fait un cursus classique. J’ai passé le baccalauréat D en 86, fait des études de pharmacie à la fac de Chatenay-Malabry et passé une thèse en pharmacie. J’ai terminé mon cursus pharmacie avec un DESS de marketing spécialisé. Aujourd’hui, je suis directeur du marketing dans un grand groupe pharmaceutique.

  • Te souviens-tu de ton arrivée en France ?

Oui parfaitement… Tous les foyers d’accueil étaient complets. Nous étions donc hébergés provisoirement dans un foyer de jeunes travailleurs à Poissy. Il y avait une cantine. Je vois encore les premiers pains ronds, les « doses » en plastique de beurre et surtout de confiture qu’on trouve souvent dans les cafétérias. Cela m’a marqué parce qu’étant enfant, j’aimais beaucoup le sucré. Et cette confiture, ce petit beurre et ces petits pains ronds étaient pour moi très curieux, étranges. Et je m’en délectais.

Ensuite, J’ai été transféré au centre d’accueil de Herblay (dans les Yvelines). Puis on m’a emmené au foyer Chérioux à Vitry-sur-Seine (Val-de-Marne) un jeudi du 12 novembre. Ma première boum avec des enfants du foyer A le mercredi m’a bien marqué. J’étais totalement fasciné par cette boum et par tous ces enfants qui s’amusaient et qui dansaient. Depuis, je rattache cette période à la chanson de Sardou, « La maladie d’amour » ou encore « Rockcollection » de Laurent Voulzy etc… C’est amusant.

Tu sais, au début je communiquais comme je pouvais, en (mauvais) anglais avec les éducatrices, dont je me souviens encore les noms Dominique, Anne et Annick. On nous mettait dans les classes d’apprentissage de français. La première phrase apprise de la langue française était « Monique va sous le lit »… (éclats de rire) C’est vraiment trop drôle ! On portait une blouse pour aller à l’école. Et je me souviens encore des polycopiés à l’encre violette qui sentait bon l’alcool.

Pourquoi as-tu choisi pharmacie ?

C’était un hasard, mais un hasard qui a bien fait les choses. L’année du baccalauréat (j’étais alors en terminale D), les profs m’avaient beaucoup découragé parce que je n’avais pas de très bonnes notes. Il faut savoir qu’au foyer, les jeunes allaient dans des voies professionnelles avec des études CAP ou BEP et rares étaient ceux qui faisaient des études poussées.

Après l’obtention du bac le 1er juillet 1986, j’étais allé à la fac de Jussieu avec Mireille, l’éducatrice pour les inscriptions en DEUG B. À cette époque, on devait passer un entretien pour l’inscription. Un rendez-vous était seulement possible le 7 ou 8 juillet. Or cela ne m’arrangeait pas car je devais travailler comme animateur dans une colonie le 4 juillet. Comme j’avais une chambre universitaire à Chatenay-Malabry et qu’il y avait une faculté à côté, j’avais alors choisi pharmacie par commodité. Ce fut une sacrée chance parce qu’à partir de la 2ème année de pharmacie, on pouvait même commencer à travailler et à gagner un peu d’argent. Je pouvais ainsi envoyer de l’argent à ma famille. C’était parfait.

  • Comment l’idée d’écrire un roman t’est venue ?

Dans la vie quotidienne, je raconte rarement ma vie. Ou alors quand on me pose des questions, je dis simplement que j’étais parti seul parce que mes parents avaient raté le bateau, ou que la police était arrivée. Car pour raconter vraiment, il faut du temps. Et les gens demandent souvent par politesse ou pour la forme. C’est inutile d’étaler ma vie. Au foyer et même à la fac, je fréquentais pas mal de Vietnamiens. Chacun avait une histoire intéressante, extraordinaire. Mais pour nous, cela n’avait rien de spécial, c’était même assez « ordinaire ».

En 1996, J’ai eu la chance via un ami d’être invité chez Marc Lavoine et sa femme Sarah pour un dîner. Ce soir-là, Sarah m’avait posé des questions sur mon passé. Sa curiosité et son écoute particulière me donnaient envie de raconter enfin mon histoire.

Ça a pris dix ans pour que le projet d’écrire commence à se concrétiser. En effet, j’ai attendu d’être prêt pour raconter et partager mon histoire, d’abord pour ma famille, pour qu’elle comprenne ce que j’ai vécu loin d’elle.

  • Pourquoi as-tu choisi ce titre « Loin des yeux de ma mère »  pour ton roman?

J’ai choisi ce titre parce que je me rappelais de ses yeux posés sur moi quand j’étais enfant, un regard protecteur.

  • Quel est ton passage préféré dans le livre ?

Le chapitre de l’improbable rencontre.

Un jour, on devait aller voir mon père dans la zone occupée. J’avais cinq ans. On s’était rendu chez une dame qu’on appelait Bac Hai. Elle avait deux garçons.  En attendant l’arrivée de mon père, j’allais jouer avec les enfants et on partait se baigner à la rivière en mobylette conduite par le grand fils de Bac Hai. J’avais à l’époque un chapeau de toile orange et un grain de beauté très visible à l’œil droit. Sur la route, tout à coup mon chapeau s’était envolé. Dans le sens inverse arrivait une grosse moto 125 cm3 avec un monsieur frimeur portant des lunettes de soleil avec une barre transversale dorée, en tenue de militaire. Il s’était arrêté pour ramasser le chapeau. Le monsieur me fixait un moment (sans doute m’avait-il reconnu grâce à mon air de famille et mon grain de beauté) à travers ses lunettes de soleil avant de me remettre le chapeau sans rien dire. J’étais impressionné et je balbutiais un timide merci. On s’était regardé et on était parti chacun dans une direction opposée. Après la baignade à la rivière, au retour chez Bac Hai, j’ai aperçu le même monsieur. Un vrai choc. C’était en fait mon père que je n’avais pas reconnu sur le moment. La dernière fois que je l’avais vu, c’était à l’âge de trois ans et je n’avais aucun souvenir. On peut dire que c’était la première fois que j’avais conscience de voir mon père.

  • Y a-t-il un souvenir lié à la cuisine dans ton roman ?

Oui les délicieux chè du marché de Hoa Binh à Saigon. (dessert vietnamien sous forme de soupes ou porridges sucrés avec divers ingrédients et à la mode du sud, toujours nappés de sauce au lait de coco).

  • Pour revenir au thème de mon blog, aimes-tu cuisiner ou préfères-tu manger ?

J’aime manger mais je ne sais pas bien cuisiner. À la fac, j’étais le spécialiste de l’omelette aux pennés. C’était bon, nourrissant et pas cher. Maintenant chez moi, je mange des grillades ou du jambon avec de la salade. Et lorsque je suis dehors, j’aime bien manger italien car j’adore la cuisine italienne.  J’aime aussi les bistrots modernes de type bistronomie et j’adore manger vietnamien, japonais, toutes les cuisines d’Asie.

  • Quelles sont tes adresses préférées de restaurants à Paris que tu pourrais recommander à mes visiteurs ? 

Il y a un tout petit restaurant italien près de chez moi, Le Giallo Oro, dans le 16ème. Il y a aussi le Café constant dans le 7ème, le Cô Tu dans le 15ème pour la cuisine vietnamienne ou L’impérial choisy, dans le 13ème pour la cuisine chinoise.

  • Selon toi, quelles sont les croyances, les erreurs ou les confusions que les Français font souvent dans la cuisine vietnamienne ?

Certaines personnes disent qu’ils vont manger chinois pour aller manger les nems (un mets typiquement vietnamien)…

  • Enfin,  pour clore cette interview, quels sont tes projets ou tes souhaits pour l’année du cheval ?

Je souhaiterais que le livre soit un succès pour mon éditeur (Éditions First) qui m’a fait confiance et bien sûr, maintenant qu’il est sorti, je serai très fier et très touché que mon histoire rencontre un large public.

Merci beaucoup à Vuong Duy Binh d’avoir si gentiment accepté de participer à l’entretien et  pour le délicieux moment passé ensemble au Réminet.

J’ai eu beaucoup de plaisir à vous faire découvrir Vuong Duy Binh. J’espère surtout que cet entretien vous donnera envie de lire son émouvant témoignage dans « Loin des yeux de ma mère » aux Éditions First, avec une magnifique préface de Marc Lavoine, ci-dessous.

« Loin des yeux de ma mère.
Dans cette phrase il y a toute une vie, une vie à sauver, à construire, à inventer sans le regard de celle qui vous a donné la vie. Cette vie si grande, si belle et si dure, si cruelle qu’il faut malgré tout vivre sans haine et sans mensonge, avec la force de l’espoir et le travail de chaque souffle. Brice (ndlr : prénom français de Vuong Duy Binh) a vécu ce qu’il raconte, il est la preuve vivante que si l’on veut savoir, apprendre,
comprendre, pardonner sans oublier, aimer plus fort que la
violence, la haine et le destin malheureux, aimer jusqu’à se
rencontrer, en connaissant les autres, c’est possible.

Cette épopée incroyable, cette aventure est vraie, et
cela remue les choses essentielles logées au fond de nous,
les larmes du coeur et de l’âme. Un enfant, un bateau, un
exil, une lumière, une flamme qui ne s’éteint pas, la vie
pas comme les autres d’un auteur qui vient de naître. »

Marc Lavoine

Où acheter le livre « Loin des yeux de ma mère », 2014, Éditions First ?

Actualités de « Loin des yeux de ma mère » sur Facebook : https://www.facebook.com/LoinDesYeuxDeMaMere

Blog et critique sur le livre :

5 réflexions sur « Questionnaire de Miss Tâm #3 : Entretien avec Vuong Duy Binh (Loin des yeux de ma mère, Editions First) »

  1. merci beaucoup Miss Tàm pour ce jeu des questions-réponses avec Brice. Il est toujours interressant pour un(e) lect(rice)eur de mieux connaitre l’auteur du livre qu’il est entrain de lire !!! et encore mieux en parlant cuisine !!!lol!
    ce livre m’a vraiment beaucoup émue, et j’ai commencé ma deuxième lecture. Je vous remercie pour ce moment que vous avez partagé avec nous.
    à bientôt
    patou

    • Chère Patou,
      Votre commentaire sur le questionnaire avec Brice me touche beaucoup. Je tiens beaucoup à cette série de portraits à travers la cuisine et aussi à travers quelques questions plus personnelles, pour révéler les goûts, un parcours, les choix de vie, etc. Ca reste tout de même très succinct comme format. Mais ça me permet de présenter des gens que j’aime et leur travail ou actualité artistique.
      Le livre de Brice est formidable. Je comprends parfaitement que vous ayez eu l’envie de le relire encore.
      A bientôt et bonne semaine à vous.

  2. Bonjour

    Je découvre seulement ce magnifique livre !
    De plus en plus intéressée par l histoire de mes origines , lire de tels témoignages est bouleversant et tellement inspirant.
    Une force se dégage ainsi qu une réelle douceur et paix malgré les épreuves vécues.
    Merci !

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